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Romancière franco-brésilienne : Je danse l'écriture avec des pas de base. Chorégraphie la vie de mes personnages ; essaie de composer pour des corps de ballets de tous horizons.

L'obs février 2020. Mariana, la bénisseuse des ressuscités dans les favelas. Par Nathalie Maranelli

Mariana, la bénisseuse des ressuscités dans les favelas

Le 6 janvier 2020. Les pales de l’hélicoptère de la police, qui s’approchent avec détermination de la favela, giflent le vent à 300 kilomètres heures. Les bruits du quotidien disparaissent. L’alouette survole à très basse altitude, faisant vibrer les vitres de la maison de Mariana. Ses enfants sont déjà à l’école, elle les espère en sécurité. Une balle perdue est si vite arrivée, et elle sait bien de quoi elle parle.   

Son mari a été abattu par un snipper depuis un hélico un mois plus tôt, on l’a pris pour un narcotrafiquant. Ce jour-là, il portait un sac à dos noir et marchait très rapidement, non pas pour se cacher de la police mais pour descendre du morro (la colline) à l’aurore. Il avait reçu un appel de l’hôpital. Sa mère Rosa, hospitalisée en urgence souhaitait le voir pour la dernière fois. Les policiers étaient convaincus que de la drogue se trouvait dans le sac et que ses pas agiles révélaient son intention de fuir. Ils ont tiré à plusieurs reprises mais la première balle dans la tête lui a été fatale. Aucun dédommagement pour la veuve, même si la police a promis de faire une enquête, qui n’a jamais eu lieu. Le corps chaud de Wilson n’a pas eu le temps de rejoindre celui de sa mère mais leurs cœurs se sont arrêtés le même jour.

Depuis peu, Mariana a un nouveau métier, benzedeira (bénisseuse). Avant de soigner les maux du corps et de l’esprit, elle a été la bonne à tout faire dans un quartier bourgeois proche de la favela. Elle a travaillé pendant plus de vingt-ans pour la famille stéréotypée idéale aux yeux de ses amies du bidonville – pour 171 réaux par mois, moins de 100 euros mais il lui octroi le dimanche comme jour de repos. Son maître s’en voudrait de la priver du jour du seigneur. Il abuse d’elle depuis l’âge de 14 ans, (détail qu’elle omet de confier à son mari et à ses voisines).

La perte subite de son époux lui a fait ouvrir les yeux, dès le lendemain matin du décès, elle n’a pas eu le courage de se présenter au travail. Pourtant, elle ne pouvait pas se faire payer pour bénir ; c’est une mission à accomplir sur terre et pour cela il ne peut y avoir de prix. Si la bénédiction est payée, elle ne sera pas validée. Mariana survivra de la solidarité des femmes ressuscitées du morro (de la colline), qu’elle a déjà aidé auparavant.

Il vaut mieux ainsi, hors de question de se laisser à nouveau abuser. Sa tristesse et sa révolte d’avoir perdu le plus cher à son cœur, la rend plus forte. L’insoutenable est arrivé à terme. Elle le ressent au plus profond d’elle, si le patron l’attrape à nouveau dans la cuisine, elle le poignardera sans hésitation. Elle ne tient pas à aller en prison, ses enfants vont avoir besoin d’elle plus que jamais.

Les vitres des baraquements continuent à vibrer. Habitants et commerçants s’enferment à double tour. Les rues sont désertes. Quelques jeunes des favelas armés de fusil d’assaut restent tout de même cachés au détour d’une ruelle – eux aussi près à tirer. Les bruits vrombissants de l’hélicoptère font remonter à la surface toutes les craintes et les angoisses de Mariana. Ses yeux s’embuent de larmes et ses mains se mettent à trembler. Si elle n’a jamais avoué à son mari les viols subis, c’est bien de peur qu’il ne veuille plus d’elle. Et l’argent, ils en ont eu besoin, alors pas le choix. Son mari était doux et honnête, il était livreur de fruits mais ne gagnait pas assez pour nourrir une famille à lui seul.

Brésil : croyances mensongères.

Mariana, comme sa mère Amazonienne, était capable de regarder au fond de la pupille de l’autre, pour percevoir son mal. Ensuite le bénir par des prières pour retirer la souffrance et lui administrer des plantes médicinales, et purifier le corps. Celle qui lui a donné la vie le lui avait bien précisé : bénir c’est avoir le cœur plein d’amour, ce n’est que comme cela que l’on peut faire du bien pour l’autre. Il n’y a pas d’école pour cela.

Les bénisseuses ont depuis longtemps remplacé les pharmaciens, les sages-femmes et les médecins surtout dans les lieux retirés. Mariana connait les vertus des plantes par cœur et n’a utilisé ce don qu’avec ses enfants et son mari. Depuis la disparition de Wilson, développer cette disposition naturelle lui parait une évidence.

Dieu a ôté la vie de son mari, sa foi n’est plus la même. Elle a décidé de regrouper toutes les croyances et de n’en faire qu’une : catholicisme – spiritisme – umbanda et candomblé mêlés. La pauvreté, problème essentiel de la favela. L’argent qui circule vient principalement des dealeurs et de la prostitution des femmes, les favelados (habitants des favelas) mettent leur vie et leur santé en danger au quotidien, pour quelques réaux. Une agitation nouvelle rode dans les ruelles, recruteurs, baragouineurs, improvisateurs de la parole du Christ se font remarquer : les pasteurs évangélistes prétendent tout guérir avec les mains, même les cancers, ces mensonges. Mariana ne le supporte pas. Les prêtres sont restés tout de même proches des pauvres, majoritairement catholiques. Les évangélistes recrutent essentiellement leurs proies parmi les plus démunis en périphéries des grandes villes, dont le nombre ne cesse d’augmenter. Les prédateurs s’approchent tout de même du morro (la colline), promettant une meilleure qualité de vie : manipulation mentale, règles fortes d’autorité, entraves au développement d’une vie intime, coupure avec le monde extérieur. Jusqu’à intervenir sur le choix de la littérature ou de la musique ou de la bannir. Ainsi qu’une dépendance financière - donner dix pour cent de leur salaire à la communauté. Condition insupportable pour notre bénisseuse, les paroles de sa mère lui reviennent en tête : Si la bénédiction est payée, elle ne sera pas validée.

Le nouveau président Jaïr Bolsonaro a profité de cette tendance surmédiatisée, surjouée, pour se convertir à l’église évangéliste et ainsi obtenir la majorité des votes du peuple.

Mariana se sent petite devant un tel phénomène mais elle ne lâche rien. Elle continuera de réconforter ceux qui viennent la consulter, et n’hésitera pas à alerter du danger de cette nouvelle escroquerie. Son défunt mari l’a encouragé à mettre en pratique son offrande gratuite auprès des autres, lui promettant qu’il gagnerait bientôt beaucoup d’argent en se mettant à son compte. Il a envisagé de s’acheter une camionnette grâce à un microcrédit, l’économie émergente des favelas, et avec, de se déplacer et vendre fruits et légumes. Une des plus violentes Favela de Rio de Janeiro « A Cidade Maravilhosa », « la Ville Merveilleuse » titre d’une chanson des années 1960, a l’air d’attirer le monde entier. Une nouvelle tendance est-elle en train de naître entre deux balles perdues ? Visite guidée des favelas pour des touristes curieux – ouverture de chambres d’hôtes par des étrangers aux troubles motivations et aux dernières nouvelles, une école de mannequin et une autre école de danse classique vient d’ouvrir leurs portes. Salons de coiffure, boutiques à vêtements et autres garages fleurissent déjà. Wilson, lui, n’a pas eu assez de temps.

 Une bénisseuse moderne.

Pas de tir aujourd’hui, l’hélicoptère a l’air de s’éloigner. Les favelados et Mariana retrouvent un rythme cardiaque normal et reprennent prudemment leurs activités. Le cauchemar est passé, la vie reprend ses droits.  Elle se prépare pour recevoir son premier patient. Sur la petite table de la cuisine, sur la toile cirée, elle pose un verre d’eau, le liquide purifiera sa prière. Elle se munit aussi d’un cahier et d’un stylo et notera les souffrances qu’on lui confiera. Le mal sera ainsi inscrit, et puis détruit et enterré. Elle attache ses cheveux noirs, passe autour de son cou le chapelet de sa mère indigène, se vêt de blanc. Une serre grandit sur les murs de la modeste maison, et la douce voix de Mariana appelle tous les saints en une prière. La porte n’est jamais fermée à double tour en journée, chacun peut entrer et sortir comme il l’entend. Malgré la violence, les voisins se font confiance entre eux.

- Bom dia (bonjour) Mariana !

- Bom dia querida Maria Victoria.

- Qu’est-ce qui vous amène chez moi ?

Victorinha pour les intimes, a une soixantaine d’années, c’est sa deuxième « résurrection miraculeuse. » Son rim (rein) lui a été enlevé, après qu’elle a répondu à une annonce qui promettait une somme colossale en échange d’une ablation. Elle n’a jamais été payée, mais s’est retrouvée sans cet organe, avec une septicémie avancée. Son fils ainé, convoyeur de fond à l’époque, a pu la faire rentrer à l’hôpital grâce à la modeste mutuelle pour laquelle il cotisait depuis quelques années, et laquelle il avait ajouté sa mère. Elle est restée longtemps hospitalisée mais a fini par s’en sortir. Quelques semaines plus tard, le camion de la banque a été braqué et son fils bien aimé, tué par balles.   

- J’ai mal…

- Où avez-vous mal ?

La femme pose sa main gauche sur sa poitrine côté cœur, et ne bouge plus ses doigts mais se met à pleurer.

Mariana comprend son mal, celui de la perte. Perdre en enfant peut engendrer toutes maladies.

Je comprends votre mal. Ne vous inquiétez plus, séchez vos larmes. Asseyez-vous à mes côtés, buvez ce verre d’eau par petites gorgées, entre chacune d’entre elles, vous répéterez cette prière, « Bênção da mãe » (la bénédiction de la mère.) Ensuite, je noterai sur cette feuille blanche tous vos tourments. Vous me les énumérerez, je plierai la feuille en quatre et vous la glisserez dans votre poche. En rentrant chez vous, il faudra l’enterrer. On finira par se lever ensemble et je vous prendrai les mains et nous resterons face à face quelques instants, les yeux fermés. Quand vous ouvrirez les yeux, votre tristesse sera atténuée et une chaleur se dégagera de votre poitrine. Ce sera bon signe. Votre douleur s’estompera. Je terminerai en purifiant la pièce et votre esprit, et vous bénirai avec les plantes médicinales : le front, le plexus, votre épaule droite et ensuite la gauche. Avant que vous ne partiez, je vous donnerai quelques plantes à infuser avant de vous coucher. Quand vous n’en aurez plus, revenez me voir et je vous en donnerai, tant que ce sera nécessaire. Jusqu’à que vous ayez retrouvé l’apaisement. Ayez foi.

- Obrigada (merci) Mariana, que Dieu vous garde.

- Il faudra tout de même aller consulter le médecin du morro de (la colline) entendu ? Dona (diminutif de Madame) Maria Victoria.  

- Oui, je promets.

À peine a-t-elle fermée la porte que la bénisseuse sent une présence derrière son dos.

Anelize, sa voisine adolescente est derrière elle. À quinze ans, elle porte son premier enfant, de père inconnu. Ce n’est pas la première fois qu’elle vient la voir. Elle l’a doucement accompagnée pendant toute la grossesse. Cette visite impromptue n’était pas prévue. La petite ne parle plus mais grogne de douleur. Mariana comprend que les contractions viennent de commencer. Son cœur se met à battre la chamade, sera-t-elle être capable de donner la vie ? Elle se donne du courage en pensant à sa mère et à sa grand-mère bénisseuse qui ont déjà donné la vie. Instinctivement, elle aide Anelize à s’allonger sur le dos, prend des serviettes, de l’eau, donne un torchon trempé à la future mère, lui conseille de mordre dedans. À peine dit, le torchon est utilisé à plusieurs reprises. Le travail a commencé. Elle respire, pousse, respire, mord le torchon. Mariana aperçoit les cheveux du nouveau-né.

- Continue ! c’est très bien, je vois sa tête. On va y arriver !

Tout va très vite, la tête, les épaules, les bras, le ventre, les jambes et les pieds. Mariana coupe le cordon avec une lame et enveloppe le nouveau-né dans un drap blanc, tête compris.

- Il est là, ton bébé. C’est un garçon.

Mariana et Anelize se mettent pleurer.

- Comment vastu l’appeler ?

- Wilson, comme parrain. Il me manque aussi.

N M.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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